3eme - HDA correction La Chanson de Craonne, auteur inconnu, 1917

Problématique : comment une chanson dénonce-t-elle les horreurs de la Première Guerre mondiale ?

Thème : Art, Etat, pouvoir

Domaine artistique : Arts du son 

 Texte de la Chanson de Craonne



Quand au bout d'huit jours, le r'pos terminé,
On va r'prendre les tranchées,
Notre place est si utile
Que sans nous on prend la pile.
Mais c'est bien fini, on en a assez,
Personn' ne veut plus marcher,
Et le cœur bien gros, comm' dans un sanglot
On dit adieu aux civ'lots.
Même sans tambour, même sans trompette,
On s'en va là haut en baissant la tête.

Refrain
Adieu la vie, adieu l'amour,
Adieu toutes les femmes.
C'est bien fini, c'est pour toujours,
De cette guerre infâme.
C'est à Craonne, sur le plateau,
Qu'on doit laisser sa peau
Car nous sommes tous condamnés
C'est nous les sacrifiés !
C'est malheureux d'voir sur les grands boul'vards
Tous ces gros qui font leur foire ;
Si pour eux la vie est rose,
Pour nous c'est pas la mêm' chose.
Au lieu de s'cacher, tous ces embusqués,
F'raient mieux d'monter aux tranchées
Pour défendr' leurs biens, car nous n'avons rien,
Nous autr's, les pauvr's purotins.
Tous les camarades sont enterrés là,
Pour défendr' les biens de ces messieurs-là.

Refrain
Huit jours de tranchées, huit jours de souffrance,
Pourtant on a l'espérance
Que ce soir viendra la r'lève
Que nous attendons sans trêve.
Soudain, dans la nuit et dans le silence,
On voit quelqu'un qui s'avance,
C'est un officier de chasseurs à pied,
Qui vient pour nous remplacer.
Doucement dans l'ombre, sous la pluie qui tombe
Les petits chasseurs vont chercher leurs tombes.

Refrain
Ceux qu'ont l'pognon, ceux-là r'viendront,
Car c'est pour eux qu'on crève.
Mais c'est fini, car les trouffions
Vont tous se mettre en grève.
Ce s'ra votre tour, messieurs les gros,
De monter sur l'plateau,
Car si vous voulez la guerre,
Payez-la de votre peau !


Présentation

1—Quelle est l’histoire de cette chanson ?


Il s’agit d’une chanson créée en 1917 sur un air très célèbre à l'époque, celui de "Bonsoir m'amour" (une chanson de Charles Sablon de 1911) . Son auteur est resté anonyme. Il s’agissait sans doute d’un ou de plusieurs soldat(s) mobilisé(s) pendant la Première Guerre mondiale.  Pour éviter les problèmes, les soldats l'apprenaient par cœur ce qui permettait sa diffusion orale de manière clandestine. Après guerre, en 1919, les paroles ont été recueillies par R. Lefèvre et Paul Vaillant-Couturier.
La chanson évoque le plateau de Craonne, lieu d'une lourde défaite française en 1917

Pour aller plus loin
 Présentation de la chanson, de la musique :
- La chanson suit le format Couplets / Refrain qui alternent régulièrement (3 couplets alternés par un refrain) ;
- Le rythme de la valse (à 3 temps) donne un côté dansant à la chanson ;
- Le texte n'est accompagné que d'un seul instrument (l'accordéon) pour mettre en valeur la voix et donc rendre plus audible le message contestataire ;
- L'accordéon donne un style "guinguette" à la chanson (le style des chansons des bals populaires). Ce style "guinguette" de la musique, très léger, s'oppose au tragique du texte (qui décrit la guerre dans les tranchées). Cette opposition provoque un certain malaise chez l'auditeur. C'est certainement le but recherché par les auteurs de la chanson.


2—Qui est le personnage principal de la chanson ?

Le personnage principal de la chanson est un "poilu" ; en fait, ce sont les "poilus" en général qui s'expriment dans cette chanson. L’auteur ne parle pas seulement pour lui mais pour l’ensemble de ses camarades, les poilus : c’est un groupe homogène qui partage le même langage, l’argot des tranchées, mais aussi le même sentiment d’exaspération et de désespoir. C’est ce que montre l’emploi des pronoms indéfinis "on " ou de formules générales comme "personne".


Description et analyse

3—Quelles sont les conditions de vie dans les tranchées (partez de l’œuvre !) ?

Dès le couplet 1, l'auteur indique que les soldats viennent de terminer leur repos d'une semaine ("huit jours"), à l'arrière. Tout de suite, l'auteur indique que les soldats sont résignés à l'idée de reprendre le combat, qu'ils n'ont pas le moral : "cœur gros", "avec des sanglots", "en baissant la tête".
Dans le même couplet, "utile" est à lire de manière ironique comme pour montrer l'inutilité de cette guerre. D’ailleurs « utile »  rime avec "pile" (qui signifie "défaite" en argot).

Le reste de la chanson ne décrit pas précisément les conditions de vie des soldats dans les tranchées. Par contre, plusieurs passages font allusion au sacrifice des soldats ( à la fin du refrain "C'est nous les sacrifiés" , dans le 3eme couplet "Les petits chasseurs vont chercher leurs tombes") et à la difficulté de la vie dans les tranchées ("Huit jours de tranchées, huit jours de souffrance", toujours dans le 3eme couplet).


4—Selon les autorités militaires, quelle doit être l’attitude normale des soldats ? 

L'attitude normale des soldats selon les autorités militaires doit être l'obéissance absolue aux ordres, même quand ceux-ci ont pour conséquence le sacrifice de très nombreux soldats. Si la chanson porte le nom de "Chanson de Craonne", ce n'est sans doute pas un hasard. En 1917, le plateau de Craonne a été le théâtre de combats terribles lors de la bataille connue sous le nom du "Chemin des dames". En avril 1917, le général Nivelle y lança une offensive particulièrement meurtrière qui fit environ 200 000 morts en deux mois du côté français !

5—Dans la chanson, quels reproches sont adressés à une certaine partie de la population ?

Les civils qui ne se battent pas sont au centre du dernier couplet. Pour l'auteur, ce sont des riches bourgeois ("tant'd'cossus") qui préfèrent faire "la foire"  plutôt que d'aller défendre leur pays. Très clairement, la chanson ces riches d'être des "embusqués", pour qui les "poilus", souvent issus de milieux plus populaires, meurent dans les tranchées.
Le dernier refrain est légèrement différent des précédents sur la fin. Il reprend les reproches faits aux riches ("messieurs les gros") et conclut en affirmant que c'est désormais à leur tour d'aller se battre et mourir dans les tranchées ("payez-la de vot' peau").


Interprétation

6—Quels sont les différents messages de cette chanson ? 

La première partie de la chanson lance un message de désespoir ; les  "poilus" remontent en première ligne tout en sachant que la mort les y attend. Le refrain résume bien cet état d'esprit : "Adieu la vie, adieu l'amour, Adieu toutes les femmes."
La deuxième partie est plus agressive :  l'auteur s'attaque frontalement aux injustices de la société française de l'époque. D'un côté, "Nous autr's, les pauvr's purotins" qui ne possèdent rien ou presque, et de l'autre, les "gros".
La toute dernière partie du texte peut presque être considérée comme un message d'espoir envoyé aux "poilus". L'auteur laisse entendre qu'une forme de révolution pourrait avoir lieu.



7—Quels éléments montrent qu’il s’agit d’une chanson révolutionnaire (expliquez ce que c’est) ?


C'est donc dans la toute dernière partie de la chanson (le dernier refrain) que le côté révolutionnaire est le plus fort. Dans cette partie, l'auteur montre qu'il souhaite un bouleversement complet de la société française. Pour lui, l'ancien système, "c'est fini, car les trouffions Vont tous se mettre en grève." "Grève" rime alors avec "crève".  Excédés par les attaques inutiles, de nombreux soldats se révoltent en 1917, ce sont les mutineries. On peut aussi y voir une allusion aux révolutionnaires russes qui revendiquent alors l'arrêt de la guerre (révolutions russes de 1917).
La chanson se termine avec la reprise du "c’est fini" mais, cette fois-ci, l'interprétation est différente (le sacrifice, c’est fini) et par une injonction « Payez-la » au mode impératif qui vient comme un retournement de la situation (dénoncée et reprise avec « c’est pour eux qu’on crève »). 
Cette conclusion est éminemment dangereuse pour l’État français : d'abord car elle pousse au refus de se battre ; mais cette fin montre aussi la volonté d’inverser les rapports de domination dans la société française et ce dans un contexte international explosif (avec les révolutions russes). 
Plus généralement, il est possible de dire que cette chanson est une chanson engagée.


8—Pourquoi est-elle anonyme ?

Cette chanson est restée anonyme pour des raisons évidentes liées à son contenu et à la censure. La hiérarchie militaire aurait, selon certaines sources, offert un million de francs-or et la démobilisation à toute personne qui dénoncerait les auteurs de la chanson.

Ressources :
https://blogpeda.ac-bordeaux.fr/cdiestey/files/2014/12/HDA-corrig%C3%A9e-Craonne.pdf
http://lecanuet-col.spip.ac-rouen.fr/IMG/pdf/craonnesynthese.pdf

Pour aller plus loin, une série d'émissions :

http://la-bas.org/les-emissions-258/les-emissions/2007-08/novembre-157/la-chanson-de-craonne-les-mutins 
http://la-bas.org/les-emissions-258/les-emissions/2007-08/novembre-157/la-chanson-de-craonne-les-mutins-2
http://la-bas.org/les-emissions-258/les-emissions/2007-08/novembre-157/la-chanson-de-craonne-les-mutins-3